Urbanisme et grands projets : compte-rendu des JMU de Lyon

Comment l’urbaniste fait-il passer ses rêves, ses idéaux et ses visions innovantes, auprès d’élus qui ont également leurs idéologies, leurs promesses de mandat et leurs engagements politiques à tenir ? Comment l’urbanisme peut-il dépasser la commande, qu’elle soit politique, sociale ou économique ? Dans quelle mesure les grands projets novateurs d’aménagement préfigurent-ils les préoccupations, les nouvelles thématiques voire les normes des politiques urbaines à venir ?
Voici les questions soulevées par les étudiants, chercheurs et professionnels qui ont participé au forum urbain organisé par la Société Française des Urbanistes et l’Institut d’Urbanisme de Lyon, le 9 novembre 2016, à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Urbanisme. Partant du thème national, « Urbanisme et grands projets », les participants ont exploré sa dimension idéologique, avec une mise en perspective historique et politique de grands projets d’urbanisme et d’aménagement du XXe siècle, et de leur résonance au XXIe siècle.
1. Quatre grands projets : quatre préfigurations ?
Pour ouvrir la discussion, des étudiants du master urbanisme et aménagement de l’IUL ont présenté quatre exemples de grands projets développés en Auvergne-Rhône-Alpes*, ayant en commun d’être allés au-delà de la commande. « L’objectif, détaille Rachel Linossier, Maître de conférences en aménagement et urbanisme au sein de l’IUL, était de montrer en quoi ces projets issus d’époques différentes au cours du XXe siècle pouvaient préfigurer des orientations, des thématiques qui sont devenues aujourd’hui assez dominantes en matière de politiques urbaines. Ces projets, anciens, annonçaient déjà certaines préoccupations. »
Pour chaque projet présenté, cliquez sur l’image pour découvrir l’intégralité du poster réalisé par les étudiants.

  • Grenoble des Jeux Olympiques d’hiver de 1968

Comment un grand événement sportif, d’envergure internationale, peut-il être mis au service de la modernisation d’une ville en pleine expansion ? L’accueil des Jeux Olympiques de 1968 fut une occasion unique pour la ville de Grenoble de rattraper son retard : alors que la population bondissait de 42 % entre 1950 et 1960, le développement urbain ne parvenait pas à suivre la courbe démographique. Grâce à la « manne olympique », un budget exceptionnel alloué à la ville à cette occasion, il lui a été possible de combler le manque criant d’infrastructures, d’équipements et de logements. Cet événement olympique fut le moteur de l’aménagement.

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Mais comment, dans un temps très court (l’attribution des JO est annoncée en 1964), prendre le temps de la réflexion ? L’insertion au cœur même de la ville de tous ces bâtiments n’a pu bénéficier d’un temps de réflexion et de concertation assez long. Après le faste des années de préparatifs, puis la fête des Jeux, suivent les longues années de la reconversion des sites et de l’aménagement, pour intégrer ces constructions au quotidien des Grenoblois.

  • Les campus universitaires de Villeurbanne la Doua et de Bron Parilly

Dès les années 1960, se pose la question du lien entre l’université et la ville. Les campus qui émergent à cette époque suivent la tendance du « campus américain », vert et spacieux. A la Doua, le site retenu est une zone marécageuse en bordure du Rhône, entre Villeurbanne et Lyon. Ce campus à l’américaine, construit en 1957, se dresse hors du tissu urbain dense. L’architecte Perrin-Fayolle imagine un complexe universitaire avec ses propres lois urbaines, une sorte de citadelle autonome dans la ville.

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A l’inverse, l’architecte René Dottelonde, sur le campus de Bron, imagine un campus intégré dans la ville, aux structures modifiables et adaptables à l’évolution de l’environnement et des besoins. Initialement, la forme était imaginée pour que la ville se développe autour, et que la rue traversante du campus soit empruntée tant par les étudiants que par les habitants.

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  • Le Téléphérique du Salève

Trait d’union entre la ville de Genève et son parc naturel urbain, le Téléphérique du Salève est inauguré en 1932. Les premières années, c’est un franc succès. Mais la concurrence de la voiture devient trop forte dans les années 1970 : son utilisation est abandonnée. Il sera remis en service quelques années plus tard grâce au soutien des collectivités locales, et fait actuellement office de laboratoire de coopération intercommunale et transfrontalière, puisque le téléphérique se trouve à cheval entre la France et la Suisse.

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A l’heure actuelle, toutes les métropoles ont le souci de connecter la nature à la ville. Certaines se lancent dans d’ambitieux projets de téléphériques pour contribuer à la réduction des déplacements automobiles. Même si la concurrence de la voiture reste rude, de nombreux efforts sont fournis par les différentes parties pour développer son attractivité, toujours dans un souci de maintenir, voire développer le lien entre la ville et la nature qui l’entoure.

  • Les Sanatoriums du plateau d’Assy

Destinés à soigner les « maux urbains » des sociétés industrielles, les sanatoriums ont connu une évolution de leur aménagement au fil des décennies. L’édifice de soins hygiéniste, imaginé pour traiter le fléau de la tuberculose, est totalement autonome, à l’écart des agglomérations. Dans l’idéologie anti-urbaine qui le caractérise initialement, le sanatorium prend une forme pavillonnaire. Le patient doit marcher d’un site à l’autre pour entrer en contact avec la nature, c’est une dimension importante de la thérapie. Mais au fil des constructions, le lien avec la nature se distend puis devient secondaire. Le passage d’un site à l’autre se fait par le biais de galeries, étape intermédiaire avant que les sanatoriums ne soient construits d’un seul tenant, comme un hôtel ou un paquebot, sans avoir même besoin de sortir du bâtiment durant la cure. Alors que la menace de la maladie contagieuse s’éloigne et disparaît, les habitudes changent et modifient l’agencement des sanatoriums.

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*Travail de synthèse réalisé à partir des travaux menés par plusieurs promotions d’étudiants entre 2008 et 2014, lors de leur cursus en master urbanisme et aménagement au sein de l’IUL.
2. Imaginer l’avenir urbain dans le premier XXe siècle : un regard d’historien sur la naissance de l’urbanisme
La seconde partie du forum urbain était consacrée au regard de l’historien : Stéphane Frioux, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Lumière – Lyon 2, a retracé l’émergence de l’urbanisme au siècle dernier. Il note, dans un premier temps, l’intérêt des historiens pour les principales catégories sociales qui ont vécu dans les villes, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Le fait urbain a d’abord été l’objet d’études de la part de sociologues, philosophes ou géographes. De ces études, ont découlé des questionnements qui ont provoqué le changement : pourquoi mourait-on plus dans les villes qu’à la campagne ? Quels étaient les effets et les causes de l’insalubrité urbaine ? L’apparition de l’hygiénisme sera un premier pas vers le développement de l’urbanisme.

Au XXe siècle, l’avenir de la « cité moderne » passera par la prévision, des projets et des plans. L’idée de zonage apparaît dans les années 1920, la ville est envisagée dans son ensemble, on la projette dans l’avenir, envisage les déplacements, les zones de travail et de résidence… Reste, pour l’urbaniste qui dispose désormais d’outils concrets et prospectifs, à travailler main dans la main avec l’élu qui jongle avec des paramètres parfois éloignés de ceux de l’urbaniste.
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Consultez l’interview de Stéphane Frioux sur la naissance de l’urbanisme.
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3. L’urbaniste et ses belles idées (éthiques et déontologies)
En troisième partie, Jacques Vialettes, président de la SFU, a tenu à mettre l’accent sur l’aspect éthique du métier. La discipline, au fil de son existence, s’est structurée, a vu de nouvelles questions émerger. Dans ce cadre en mouvement, l’urbaniste doit maintenir sa posture éthique et se questionner sur son travail, sur les limites de la commande, sur la garantie d’agir dans l’intérêt général…
L’urbanisme a une visée transformatrice : il cherche, dans son domaine, à faire le monde meilleur. Cette idée qui sous-tend chaque projet, exige d’adopter une démarche éthique. Il s’en déduit une responsabilité personnelle de chaque urbaniste, celle de mettre en œuvre cette éthique dans son propre travail. Enfin, si l’éthique autorise le risque et l’erreur, la déontologie est un autre cadre plus strictement établi à prendre en compte. Elle codifie la façon dont une profession se met au service de l’intérêt public.
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Retrouvez l’intégralité de l’intervention de Jacques Vialettes à ce lien.
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A la question initiale, « comment l’urbaniste fait-il passer ses rêves, ses idéaux et ses visions innovantes ? », la réflexion a conduit les participants, pour achever cette rencontre, à définir les contours du rôle de l’urbaniste. Son ambition est de parvenir à faire passer des enjeux nouveaux comme « le droit au soleil » dans les projets qui lui sont confiés. Mais comment faire face à l’importante demande de logements tout en conservant ses idéaux, en proposant des projets qualitatifs, alors même que l’urbaniste est coincé entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre ? En parvenant, par exemple, à développer ses propositions au fildes projets, tout en prenant en compte les attentes des différentes parties prenantes. Pour y parvenir, la clé pourrait être le développement de la notion de maîtrise d’usage.
Savoir communiquer, détailler les projets, préserver les aspects qui paraissent essentiels au yeux de l’urbaniste sont certainement les meilleurs moyens de parvenir à mener à terme un projet ambitieux et abouti, qui saura satisfaire ses usagers.
Retrouvez l’intégralité des débats de la soirée à ce lien.