Ville nature

Réflexions à propos du concept de la ville-nature
Alain AVITABILE Urbaniste SFU, directeur d’étude à l’agence d’urbanisme de la région stéphanoise – aavitabile@epures.com
Cet article fait suite aux 2èmes rencontres internationales de recherche en urbanisme de Grenoble tenues les 5 et 6 février 2004 à l’Institut d’urbanisme sur le thème de « la ville nature contemporaine, quelle réalité, quel projet »
Nouvelle idéologie venant légitimer la poursuite et le redéploiement de l’habitat péri-urbain ou du mitage de l’espace rural, fuite pour certains de la vie urbaine , force est de constater l’émergence de cette recherche de nature, que celle-ci soit symbolique (les plantes et fleurs des balcons d’immeubles urbains) ou procédant d’un besoin plus profond de contact sensoriel mais aussi d’enracinement dans un monde de mobilité généralisée (« nomadisme »). Ce thème émerge non seulement dans le monde des milieux professionnels et des chercheurs mais aussi dans les attentes formulées par les usagers et relayées par les élus locaux.
A l’heure où des SCOT s’engagent et par ailleurs des projets de territoire déclinés dans des contrats d’agglomération et chartes de pays, ce thème repose la question des modèles de développement urbain, quelque peu oubliée dans les méandres de la gestion des droits des sols, les projets urbains étant quant à eux généralement très localisés.
Il semble par ailleurs que les approches du paysage portées par les professionnels commencent à être partagées en apportant une autre dimension que celle du paysage patrimoine et en se voulant interroger les territoires pour constituer une entrée au projet sur de plus larges échelles.
Ce sont aussi des démarches participatives qui se font jour en la matière en posant le paysage comme entrée dans une démarche de projet partagé avec les acteurs de la société civile.
Enfin, avec la montée en régime des intercommunalités (sous l’impulsion de la « loi Chevènement »), la mise en place des politiques contractuelles en application de la LOADT (« loi Voynet »), avec leur volet foncier (que nous aborderons), il semble qu’un contexte favorable soit ici réuni pour penser les territoires comme espaces de projet (et pas seulement de planification) à une échelle large, c’est à dire à l’échelle de la « ville-territoire ».
Certes, la loi Urbanisme et Habitat est venue affaiblir le caractère incitatif de la loi SRU sur les SCOT en réduisant les périmètres d’inconstructibilité en leur absence et ceci n’est pas sans reposer le problème des rapports entre espaces ruraux et espaces urbains des agglomérations. Alliée au phénomène de métropolisation en tant que dynamique de développement engendrant des effets sur des territoires très vastes , se pose d’emblée la question et le risque d’une dichotomie entre des espaces régulés, sous différentes formes, y compris sous « gouvernance urbaine », et des espaces, notamment ruraux, de « gestion localisée » échappant à ces régulations et néanmoins sous l’influence des dynamiques urbaines et métropolitaines.
Sans entrer dans ce vaste débat, sont livrées ici quelques réflexions issues de l’observation des pratiques du projet de territoire et de la planification aux côtés des gestionnaires des territoires et qui se veulent poser la question de l’opérationnalité du concept de la ville-nature.
En premier lieu, si les travaux méthodologiques conduits à ce jour dans le domaine du développement durable et notamment les différentes grilles produite ont pêché à notre sens par un excès de globalisation dans leur application, l’approche par le paysage en revanche, dans une acception élargie, et bien que mettant en jeu des spécificités professionnelles, apparaît comme une clef d’entrée privilégiée pour aborder les dynamiques et les problématiques d’évolution des territoires et notamment le projet de territoire. En effet, on parle souvent de paysage et de paysagistes, en dehors du patrimoine, en faisant référence au « paysage conçu », dans le cadre de projets opérationnels d’aménagement portant sur des espaces maîtrisés. En revanche, le paysage non conçu qui est la résultante des activités de tous et procède de cette fabrication-évolution spontanée des territoires engendrée par les dynamiques urbaines et leur traduction en termes d’utilisation des sols. Celles-ci sont tendanciellement en rupture avec le mode de structuration traditionnel du paysage agricole qui a donné lieu à cette harmonie spontanée et produit implicitement une syntaxe à partir de ses différentes composantes prenant en compte la géographie des lieux, par nécessité.
Or, la production de ce paysage spontané est aujourd’hui bien peu encadrée et régulée, malgré les différentes générations de plans locaux d’urbanisme dans lesquels le paysage n’est qu’un des éléments pesant sur les décisions de « zonage » et où beaucoup pensent seulement en termes d’insertion dans le paysage sans s’interroger sur l’opportunité d’urbaniser.
Dans les cas particuliers de sites identifiés (sites classés ou inscrits, éléments d’intérêt paysager référencés dans les PLU,…), la régulation n’intervient souvent que dans la phase finale de la chaîne, à savoir au moment où intervient la demande d’autorisation de construire qui s’est déjà portée sur un lieu précis laissant une faible marge de manœuvre à la collectivité si celle-ci n’a pas établi au préalable un plan ou schéma de paysage qui soit opératoire, ce qui peut conduire à des situations de blocage.
Ceci amène à dire que le paysage, loin d’être une démarche sur des espaces considérés comme résiduels comme cela a été le cas jusqu’à une période récente, est un acte qui doit intervenir en préalable et s’intégrer à la démarche globale de projet, que ce soit à l’échelle du projet urbain, dans une acception élargie de la conception urbaine (c’est à dire intégrée dans une notion de composition urbaine et paysagère), ou à celle du projet de territoire, où il s’agit d’une autre nature de conception, procédant d’une réflexion sur les logiques urbaines et leurs implications sur le paysage pour définir des modes de régulation et de gestion adéquats et non d’une démarche de « dessin » d’un espace le plus souvent maîtrisé.
Un autre intérêt de l’approche paysagère est son usage comme vecteur de démocratie participative. En effet, hormis sa composante physique et sa perception visuelle, le paysage évoque et renvoie à des usages mais également à des représentations, mettant en jeu toute la dimension qui constitue la valeur symbolique du paysage pour chaque individu particulier (habitant, usager, visiteur, acteur,…) selon ses référents propres. En d’autres termes, le paysage n’existe que par rapport qu’à sa perception, par définition subjective, et s’il peut y avoir une culture dominante en un contexte déterminé établissant un consensus implicite sur sa valeur, il n’en est pas autant de la valeur symbolique liée à l’imaginaire de chacun, de son propre vécu et de son ressenti des lieux pratiqués. Or cette dimension doit être prise en compte en tant que telle et non objectivée.
A titre d’exemple, le cas des jardins ouvriers ou des traces d’un passé industriel dans des territoires en reconversion (comme par exemple dans la région stéphanoise ou dans le nord de la France) peuvent avoir une forte valeur et constituer des éléments de référence à préserver pour certains et pour d’autres à faire disparaître pour s’en affranchir et construire un nouvel avenir porteur des valeurs de la modernité. Il y a donc là un sujet majeur de débat et de débat public légitime qui peut constituer un angle d’attaque privilégié d’exercice de la gouvernance urbaine. Des ateliers participatifs ont été menés dans ce sens-là avec des acteurs de la société civile.
En même temps, ceci n’exclut pas d’avoir une approche rigoureuse préalable permettant précisément de mieux poser le débat en utilisant les outils modernes de la cartographie informatique, d’analyse de la configuration objectives des lieux et des co-visibilités, parallèlement à ce travail, d’écoute et d’animation de débat avec les différents acteurs.
Le paysage étant la résultante d’un territoire et d’activités humaines avec des logiques d’utilisation des sols, c’est en ce sens que cette approche par le paysage peut constituer une « entrée » transversale et pédagogique à la démarche de projet de territoire.
Elle présente en outre l’intérêt de permettre d’établir un débat à partir de référents concrets et connus du grand public et des gestionnaires du territoire et s’avère particulièrement propice à une sensibilisation sur les logiques à l’origine de l’évolution des territoires et donc à poser la question des enjeux et les choix envisageables en en imaginant les implications concrètes. Il s’agit là d’un cheminement pouvant amener les acteurs à s’interroger sur ces logiques et, in fine, à situer et à cibler leurs marges de manœuvre en matière de régulation de l’évolution des territoires.
A ce titre, la loi SRU, avec SCOT et PLU, apporte peu d’éléments nouveaux. Elle s’enrichit certes dans ses intentions de la démarche stratégique et de la notion de projet sans apporter pour autant de nouveaux registres d’action opératoires. Le PADD, mis en avent dans la démarche, reste un document à caractère général, voire de support explicatif des options retenues, les « orientations d’aménagement » quant à elles, facultatives , venant le plus souvent s’inscrire comme l’affichage de projets entérinés ou pour inscrire des prescriptions sur des opérations d’aménagement identifiées ou en cours de réalisation sur des sites très localisés (notamment en remplacement des dispositions des PAZ dans les ZAC). Ainsi, le véritable registre de gestion des droits des sols demeure le règlement et ses documents graphiques (plan de zonage), qui peuvent inclure le repérage d’éléments d’intérêt paysager, cette disposition étant antérieure à la loi SRU (loi Paysage).
Toutefois, dans ce cadre, en définitive renouvelé à la marge (pour ce qui concerne les PLU), le registre foncier est en revanche mentionné, de même que la LOADT prévoit un volet foncier dans les contrats d’agglomération.
A titre d’exemple d’application possible dans les zones péri-urbaines, le souci de nombreux élus de conserver une faible densité bâtie, pouvant conduire à imposer des tailles de parcelles minimales, pourrait trouver, (en dehors de la production d’une offre d’habitat intermédiaire dans les tissus constitués), une alternative dans la constitution de tissus pavillonnaires plus denses ménageant par ailleurs des espaces verts collectifs significatifs, à travers des prescriptions (article 13) et un classement en zones à urbaniser permettant à la collectivité d’encadrer les opérations.
L’utilisation des outils comme la ZAD (permettant de préempter sur la base de valeurs antérieures d’un année à sa création) est aussi de nature à permettre d’écrêter les valeurs foncières et de rendre possible et acceptables des actions d’intervention foncière, au regard des coûts de la trame verte urbaine recherchée ou de la ville-nature afin de « tenir » de manière pérenne ces « coupures vertes » ou « limites d’urbanisation » que les espaces agricoles ne peuvent assurer durablement.
Enfin, quelques opérateurs se sont lancés dans des programmes de logements collectifs urbains en recherchant, outre des formes intermédiaires évoquant la maison individuelle, cette idée de nature (intégration de jardins urbains, de terrasses plantées, de patios,…). Le succès de ces premières opérations montre aussi que le concept de ville-nature n’est pas uniquement réservé au modèle de l’habitat pavillonnaire et peut aussi se décliner dans des opérations urbaines.
C’est aussi le travail sur la ville constituée elle-même en recherchant un maillage des espaces verts publics et de tout ce qui concoure à une présence plus forte de la nature dans la ville, voire en usant d’un travail de scénographie pour établir des co-visibilités ou continuités visuelles avec les espaces libres situés aux franges, le cas échéant.