Cent ans après la loi Cornudet, quelle ambition pour l’urbanisme aujourd’hui ?

De quoi s’agit-il ?

Le 19 mars 1919 l’Assemblée Nationale votait la loi « concernant les plans d’extension et d’aménagement des villes », proposée par le député Honoré Cornudet. Issue des réflexions menées par la section d’hygiène rurale et urbaine créée au sein du Musée Social en 1908, puis par la Société Française des Urbanistes (SFU) fondée en 1911, cette première loi sur l’urbanisme a jeté les bases de l’urbanisme dit « de plan » en instituant les Plans d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension (PAEE), en même temps qu’elle a donné naissance à une « Ecole française d’urbanisme ».
Cent ans après, où en est l’urbanisme ?
La Société Française des Urbanistes, en partenariat avec l’Institut d’Urbanisme de Lyon, pose­ra la question lors d’un colloque qui se tiendra
le 8 novembre 2019, Jour Mondial de l’Urbanisme
Au cours de la journée, plusieurs intervenants interrogeront l’actualité des objectifs posés par la loi Cornudet vis à vis de l’urbanisme contemporain :

  • quels en sont les acteurs ?
  • avec quels outils et quelles méthodes ?
  • pour quelle ambition, notamment sociale ?

Le choix de la ville de Lyon

La Métropole de Lyon a été retenue pour tenir ce colloque. En effet :

  • c’est l’une des quatre métropoles françaises « millionnaires » en terme de population ;
  • c’est une ville qui offre une histoire urbaine riche : de la capitale des Gaules jusqu’à Lyon Confluence, en passant par le plan d’aménagement de la presqu’île par Antoine Michel Perrache et Guillaume Delorme ou les projets et réalisations de Tony Garnier, pour ne citer que quelques exemples, Lyon présente à la fois des aperçus significatifs des grandes époques de l’urbanisation du territoire français et des expériences contemporaines remarquables ;
  • Camille Chalumeau, ingénieur en chef de la Ville de Lyon de 1910 à 1941, est considéré comme un précurseur de la loi Cornudet. Après sa promulgation, il établira le Plan d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension de la ville, dont nombre de principes ont guidé son développement, ce qui est le cas de très peu de PAEE.

Le programme

Une manifestation qui ne se contente pas de parler de l’époque où a été votée la loi, mais qui interroge les pratiques actuelles et qui pose la question de l’apport de Cornudet et de ses ap­plicateurs (Prost, Jaussely, Agache, les frères Danger, …) pour la pratique de l’urbanisme contemporain et ses perspectives d’avenir.
Un colloque d’une journée, vendredi 8 novembre 2019 avec des possibilités d’activités com­plémentaires – promenades urbaines, gastronomie, … – qui peuvent s’étendre sur tout le week-end.

Le colloque :

6 à 8 intervenants pour des communications limitées à 1/2 heure,
Présentées par des spécialistes de la loi Cornudet ou des pratiques qui en ont découlé, ces différentes communications interrogeront aussi l’actualité ou les résonances contemporaines des ambitions et des objectifs posés dans la loi Cornudet.
Groupées par thématiques, les interventions seront introduites par des grands témoins, qui animeront ensuite des tables rondes d’échange avec le public. Plusieurs Grands Prix de l’Urbanisme ont fait connaître leur intérêt pour y participer.

Les visites :

Les sites suivantsont été retenus pour des visites qui seront organisées le samedi 9 novembre : 
– le quartier de la Part-Dieu et son projet de requalification et de développement,
– le quartier des Etats-Unis et le musée Tony Garnier,
– le quartier des gratte-ciel à Villeurbanne,
– la requalification de la rive gauche du Rhône depuis la Cité internationale jusqu’au parc Gerland.
Les visites seront commentées par des grands noms de l’architecture et de l’urbanisme qui exposeront à partir des réalisations visitées leur point de vue sur l’urbanisme contemporain.

Le public attendu

La manifestation est calibrée pour accueillir 200 personnes :

  • élus, décideurs et professionnels de l’urbanisme,
  • enseignants et étudiants en urbanisme et dans les disciplines connexes,
  • public associatif et plus largement quiconque s’intéresse aux questions d’urbanisme et de développement et de transformation des villes.

Les organisateurs

Initiée par la Société Française des Urbanistes (SFU), la manifestation est coproduite avec l’Institut d’Urbanisme de Lyon (IUL, UFR temps et territoires – Université Lumière Lyon 2).
La Société Française des Urbanistes  www.urbaniste.com
En 1911, la Société Française des Urbanistes a inventé le mot «urbaniste» pour désigner les professionnels de la nouvelle discipline que construisaient alors ar­chitectes, hygiénistes, géographes, paysagistes et ingénieurs. La SFU accompagne depuis plus de cent ans les transformations de l’urbanisme, l’élargissement de ses enjeux et de ses techniques, le renouvellement des outils législatifs et profes­sionnels, la création et l’évolution des formations. La SFU est membre du conseil d’administration de l’OPQU. La SFU est membre de l’association internationale des urbanistes (AIU-ISOCARP). Membre fondateur du Conseil européen des urbanistes (ECTP-CEU), la SFU y partage la représentation des urbanistes français avec l’OPQU. La SFU reconnaît dans ses statuts les rôles de qualification et de formation de l’OPQU et de l’APE-RAU. La SFU organise chaque année des débats thématiques à l’occasion du Jour Mondial de l’Urbanisme, le 8 novembre.
L’Institut d’Urbanisme de Lyon iul-urbanisme.univ-lyon2.fr
Fondé en 1991, sa création a constitué l’aboutissement d’un projet partenarial porté par le Ministère de l’équipement (Direction de l’architecture et de l’urbanisme), les collectivités locales (Ville de Lyon, Conseil départemental du Rhône, Conseil régional Rhône-Alpes), l’agence d’urbanisme de Lyon, la Société Française des Urbanistes et différents établissements d’enseignement supérieur, notamment l’Université Lumière Lyon 2 qui portait les diplômes préexistants et à laquelle furent rattachés l’IUL et l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat.
L’ambition de l’Institut est de structurer :

  • un centre de formation de haut niveau aux métiers de l’urbanisme et de l’aménagement ;
  • un espace d’échanges et de coopération entre milieux universitaires et milieux professionnels ;
  • un lieu fortement adossé aux réseaux scientifiques locaux, nationaux et internationaux.

Deux convictions majeures guident l’enseignement dispensé par l’Institut :

  • répondre aux multiples enjeux qui se posent aux villes et à leurs habitants nécessite une connaissance fine des travaux scientifiques les plus pointus en matière de dynamiques territoriales, de politiques urbaines et d’action collective mais aussi la maîtrise approfondie des techniques et des savoir-faire professionnels ;
  • l’acquisition et la diffusion de ces connaissances théoriques et pratiques doivent reposer sur des dispositifs pédagogiques actifs articulant analyses scientifiques, études de cas, interventions de praticiens et mise en situation professionnelle : travaux individuels et collectifs, ateliers, stages, séminaires, …

La manifestation projetée pour le centenaire de la loi Cornudet a reçu le soutien de deux importantes associations professionnelles de l’urbanisme :

  • l’Association pour la Promotion de l’Enseignement et de la Recherche en Aménagement et en Urbanisme (APERAU),
  • l’Office Professionnel de Qualification des Urbanistes ( OPQU).

L’Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme www.aperau.org
L’APERAU a été créée en 1984 autour d’une charte énonçant des prin­cipes pédagogiques qui insistent notamment sur l’interdisciplinarité, la mise en situation professionnelle des étudiants et la participation effective des professionnels de l’urbanisme au contenu des formations. Cette charte permet de labelliser des formations sur la base d’un dossier et d’une visite d’un comité d’évaluation qui rencontre les enseignants, les intervenants professionnels, les étudiants, les diplômés. Chaque comité comprend deux universitaires et un professionnel de l’urbanisme désigné par l’OPQU. Cette labellisation est régulièrement soumise à renouvellement. En France, l’APERAU rassemble 19 formations de niveau bac+5, d’où sortent un millier de diplômés chaque année. Depuis 1996, l’APERAU est aussi une association internationale francophone. Sa section France-Europe rassemble 25 for­mations de niveau bac + 5 d’où sont issus près de 1300 diplômés/an. L’APERAU organise cha­que année des Rencontres Internationales en urbanisme.
L’Office Professionnel de Qualification des Urbanistes www.opqu.org
Créé en 1998, avec le soutien de l’Association des Maires de France et de l’Etat, l’OPQU assure une mission de service public, par un proto­cole signé le 22 juillet 1998 avec le Ministre en charge de l’Urbanisme. Depuis 2013, ses administrateurs sont pour moitié les représentants d’organisations (associa­tions professionnelles, fédération des agences d’urbanistes, Ordre des géomètres, Ordre des Architectes, etc.) et pour moitié les représentants élus des urbanistes qualifiés. L’Office délivre une qualification professionnelle aux urbanistes, personnes individuelles, ou structures : sa mission principale est d’apporter des garanties de professionalisme aux maîtres d’ouvrage. Pour cela, il a rédigé un référentiel métiers et une déontologie des urbanistes français. Son ac­tion s’inscrit dans la Charte Européenne de l’Urbanisme. Ainsi, chaque année, les Assises de la qualification sont l’occasion d’échanges avec un autre pays pour mieux comprendre l’organisation professionnelle des urbanistes en Europe. L’OPQU a signé un Accord de Reconnais­sance Mutuelle avec l’Ordre des Urbanistes du Québec qui permet aux urbanistes qualifiés de s’inscrire directement à l’Office des Urbanistes du Québec.

Focus : la loi Cornudet, héritages et actualité

Honoré Cornudet des Chaumettes (1861-1938) est passé à la postérité de l’urbanisme français pour avoir fait voter la première loi préconisant l’établissement de Plans d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension (PAEE) dans les villes de plus 10 000 habitants, mais aussi dans les villes touristiques ou présentant un caractère pittoresque, artistique et historique.

L’application de la loi Cornudet à Lyon

Lyon est une ville qui peut être considérée à la fois comme un creuset de préfiguration et une héritière, à plusieurs titres, des idées urbanistiques reprises dans la loi Cornudet.
Au début XXe siècle, l’ingénieur Camille Chalumeau réfléchit avec son service à l’aménagement de la ville de Lyon. Les collines de Fourvière à l’ouest et de la Croix-Rousse au nord endiguent son développement qui ne peut alors se réaliser qu’à l’est du Rhône.
Le maire de Lyon, Édouard Herriot, charge à cette époque ses services de réfléchir au développement urbain de la ville et c’est naturellement Chalumeau qui en sera le maître d’œuvre. Cet ingénieur en chef, responsable des services techniques de la ville, peut être considéré comme un anticipateur des principes repris dans la loi Cornudet.
Il propose un réseau maillé d’avenues ou de boulevards qui ont pour objectif de structurer la ville et son expansion, tout en assurant la fluidité de la circulation entre les quartiers anciens et nouveaux. Il a notamment l’intuition qu’il faut structurer l’agglomération naissante par un réseau de boulevards orientés grosso modo nord-sud, direction qui était la plus déficitaire.
Il y aura plusieurs moutures successives du plan Chalumeau, avant et après la guerre. Le plan définitif officiel sera adopté par le conseil municipal du 19 juillet 1935 en s’inscrivant dans la nouvelle loi Cornudet. Ce plan vaudra à Chalumeau d’être récipiendaire du Grand Prix de l’Urbanisme en 1937.
Par rapport à nombre de plans « Cornudet » des villes de France élaborés à cette époque, le plan de Lyon sera l’un des rares qui verra des réalisations d’envergure se réaliser. Le tunnel sous Fourvière ou le boulevard de ceinture, conçu à l’origine comme une grande rocade fortement plantée et ouverte sur les quartiers traversés, en seront les deux ouvrages les plus emblématiques. D’autres avenues sont également tracées selon ses préconisations. Le boulevard Pi­nel, parallèle à l’intérieur au boulevard de ceinture, ne sera que partiellement réalisé. Cependant, cette question resurgit actuellement avec la construction de la ligne de tramway T6.
Notons, par ailleurs, que le BUE – pour « Boulevard urbain Est » – qui fait l’objet d’une réalisation pluri-décennale en cours est un projet d’organisation de l’agglomération qui s’inscrit lui aussi dans l’héritage du PAEE élaboré par Camille Chalumeau.
D’autres projets d’envergure, conduits depuis les années 80 dans la métropole lyonnaise entrent en résonance avec l’héritage du Plan Chalumeau et l’esprit de la loi Cornudet, tant par leur efficacité pour organiser l’aménagement urbain de Lyon que par leur capacité performatives, dont les effets s’observent encore aujourd’hui. C’est notamment le cas du Schéma Directeur Lyon 2010, dont les orientations spatiales et stratégiques (« l’Arc et les Flèches ») vont durablement structurer le développement urbain de l’agglomération.
Sous l’impulsion du maire Michel Noir et de son adjoint Henry Chabert, une vigoureuse politique d’espaces publics et d’urbanisme a ainsi été mise en œuvre, qui se prolonge de nos jours et contribue à asseoir la notoriété urbaine de la Métropole. Cette politique d’espaces publics s’articule notamment autour des Plans Vert et Bleu, de l’aménagement de squares, de places, de jardins et de parcs, mais aussi autour de la transformation ou la création d’avenues urbaines structurantes, comme du réaménagement paysager des berges du Rhône et de la Saône. Il s’agit bien là d’actions « d’aménagement et d’embellissement » selon les termes de la loi Cornudet, qui se poursuivent sous le mandat  de Gérard Collomb, maire de Lyon et président de la Communauté urbaine, puis de la Métropole, du Grand Lyon, dans le cadre d’importants projets de renouvellement urbain et d’extension. 
Des principes d’homogénéité et d’égalité dictent aussi cette politique, puisque les espaces de la périphérie – en l’occurrence les espaces des grands ensembles sociaux comme les cœurs anciens villageois – sont traités avec le même soin et la même dynamique d’investissement que ceux de la centralité.
De même, la réalisation concomitante de nombreuses lignes de tramway crée l’opportunité de produire une amélioration qualitative de l’espace urbain, de façade à façade, tout en reliant entre eux les différents quartiers qui constituent la grande agglomération.
Au vu de ces réalisations, qui mettent en tension la période Chalumeau et l’époque contemporaine, il apparaît donc un intérêt certain à tenir le colloque du centenaire de la loi Cornudet à Lyon. Cet événement doit être l’occasion de mesurer l’influence et l’actualité de la vision urbaine de Cornudet et ses principaux acteurs d’époque sur les démarches contemporaines en France.

Le contexte d’avant-guerre

La loi Cornudet s’inscrit dans un mouvement de pensée sur la ville actif avant la première guerre mondiale. Plusieurs projets de loi ou rapports sont émis à cette époque (C. Beauquier-1909, J. Siegfried-1912, A. Chenal-1913, H. Cornudet-1912, puis 1915, …).
À cette époque, l’un des enjeux urbains est de faire face à une urbanisation des faubourgs anarchique, sans ligne directrice, ni principes structurants. Les objectifs poursuivis par ces propositions sont de construire une armature raisonnée de la ville qui se développe.
Il faut souligner le rôle d’un personnage comme J. Siegfried dans ce processus. C’est l’un des principaux acteurs – si ce n’est l’initiateur – de la politique du logement social en France.
Il faut enfin souligner le rôle du Musée Social, fondation qui a un rôle majeur dans l’évolution des idées, dans l’action sociale et dans l’urbanisme à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Les membres de la section Hygiène rurale et urbaine du Musée Social furent notamment à l’origine de la création de la Société Française des Urbanistes (SFU) en 1911.

La loi du 14 mars 1919

L’objectif de la loi sur les Plans d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension des villes est de poser les principes de l’armature des villes, à la fois dans leur structuration interne et d’extension.
Dans de tels plans, la création d’un système viaire de premier rang a un rôle structurant important. Non seulement il définit les contours des quartiers, mais il organise la connexion des différentes parties de la ville par ce système maillé et interconnecté.
En ce sens, Cornudet est le continuateur d’Haussmann puisque l’un des grands principes mis en œuvre par les équipes du Préfet au XIXe siècle est d’organiser la mise en relation des diffé­rentes parties de la ville. Si Haussmann s’attache d’abord à restructurer la ville existante, pour beaucoup héritière du Moyen Âge dans sa morphologie, la loi Cornudet vise à accompagner la croissance urbaine et à prévoir son organisation.
Mais les principes posés par la loi Cornudet vont bien au-delà du tracé de grandes avenues interconnectées. C’est aussi une pensée en termes d’espaces publics et d’aération végétale de la ville : le plan doit « fixer l’étendue et la disposition des places, squares, jardin publics, espaces publics divers et réserves boisées… » (article 1).
Ces espaces publics participent aussi de la mise en scène de la ville par leur traitement (emprises, plantations, qualité des sols, etc.), ce qui contribue, couplé avec les espaces verts, à l’embellissement.
Enfin, la loi Cornudet comporte une dimension programmatique avec la nécessité de «prévoir les servitudes hygiénistes, archéologiques et esthétiques, les réseaux d’eau et d’assainissement, les équipements publics et les bâtiments destinés aux services publics».
Un PAEE, c’est donc deux choses :

  • un plan qui donne à penser la structuration de l’espace urbain et la position de ses équipements publics,
  • et un programme qui prévoit précisément le développement et la planification de ce que l’on appellerait aujourd’hui les « services urbains ».

On remarque aussi, même si cela est plus implicite qu’explicite chez Cornudet, que cette loi prône une organisation et une structuration de la ville égalitaire au sens où l’aménagement de la ville, par son système viaire structurant et par ses équipements, se réalise de manière homogène par la distribution régulière de ces équipements.
La vision de la ville qui découle de la loi Cornudet, mais qui est aussi celle des différents protagonistes de ce processus (M. Poëte, L. Bonnier, H. Prost, L. Jaussely, M. Auburtin, …), est une conception structurée, portée par une armature d’espaces publics, qui elle-même est le véhicule de l’esthétique urbaine. Il est à noter que Cornudet n’évoque jamais l’architecture… Nous pouvons considérer que cette vision urbaine est à l’opposé des principes qui prévaudront par la suite dans l’urbanisme issu de la Chartes d’Athènes : un urbanisme de zonage mono-fonctionnel, le découpage de la ville par fonctions, le regroupement des équipements structurants dans des secteurs spécialisés, la réduction de la notion de « rue » et des différents espaces de circulation à des « voies » spécialisées par types de flux de déplacements, la négation du décor urbain, etc.

L’actualité des principes issus de la loi Cornudet 

L’enjeu aujourd’hui est de confronter les valeurs ou les visions de l’urbanisme du début du siècle jusqu’au sortir de la première guerre mondiale – véhiculées par la loi Cornudet, mais aussi par les différents protagonistes ayant contribué à son élaboration – avec le monde contemporain.

  • Les mots-clés de la loi comme «aménagement», «embellissement» et «extension» (article 1), auxquels il faut sans doute ajouter les termes «hygiénistes», «archéologiques», et «esthétiques» qui figurent dans la partie programmatique, ne doivent pas être abordées comme des injonctions de politiques publiques, au sens où on les entend aujourd’hui venant de l’Administration centrale, mais sans doute davantage comme les problématiques que doit affronter la ville du début du XXe siècle. En effet, le cycle de l’industrialisation et la dynamique économique de la seconde phase de la révolution industrielle ont provoqué une forte croissance urbaine. Si l’Haussmannisation est la réponse – selon l’expression de Marcel Roncayolo – à l’adaptation nécessaire de la ville-centre sous l’effet des transformations économiques et sociales, la croissance périphérique, anarchique, ce que l’on désigne à l’époque sous les termes de «banlieue» ou de «faubourgs», est restée sans réponse de la part des pouvoirs publics. À travers la loi Cornudet, et le mouvement d’idées qui anime les penseurs de l’urbanisme du premier quart du XXe siècle, on peut donc entrevoir le projet de rattrapage de cette carence.
  • Paradoxalement, cette conceptualisation de l’expansion urbaine, qui cherche à accompagner le mouvement de construction concomitant à cette phase industrielle, ne pourra s’appliquer à la ville qu’au moment où celle-ci entre dans une phase moins dynamique, plus atone. Elle subit à ce moment là, à l’issue de la guerre de 14, les conséquences urbaines de la première guerre mondiale, puis la crise de 1929. Ce qui explique pour partie pourquoi les plans issus de la loi de 1919 verront très peu de réalisations effectives. Cela doit être un sujet de réflexion : comment l’application de doctrines urbaines entre parfois en déphasage avec les phénomènes qu’elles sont censées résoudre ?
  • Par ailleurs, si l’on cherche à regarder les éventuelles correspondances entre l’époque de Cornudet et la nôtre, on peut analyser comment les principes de structuration et d’armature de la ville en devenir aujourd’hui sont prises en compte dans les politiques urbaines, et cela après la phase dite des «Trente Glorieuses» qui a produit des concepts bien différents sur la ville.
  • La question de l’embellissement est redevenue centrale dans les politiques publiques de la ville aujourd’hui, comme on l’a indiqué plus haut. Elle se concentre peut-être davantage sur l’espace public à requalifier dans les centralités ou dans les périphéries ; tout comme la création d’ambiances urbaines propices à la réhabilitation de la vie en ville est redevenue une préoccupation majeure. Il en est de même du mouvement de création ou de recréation d’espaces verts, de jardins publics, de jardins de poche ou de grands parcs urbains. La manière dont la notion d’embellissement est aujourd’hui prise en compte est un sujet intéressant à discuter.
  • Avec les progrès techniques et l’investissement public, la question de l’hygiène et du confort urbain en ville a assurément changé de nature. La ville est aujourd’hui équipée de tous les réseaux nécessaires, notamment ceux liés à l’eau potable et à l’assainissement, alors que c’était un problème majeur de santé publique à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Mais de nouveaux enjeux sont apparus : celui du climat urbain et des îlots de chaleur, celui du bruit avec la récente directive européenne sur la création ou la préservation des zones calmes, celui de la biodiversité et du verdissement de la ville, avec les problématiques des plans verts et bleus… Ils complètent en outre la politique de gestion raisonnée des eaux pluviales, en plein développement.
  • En revenant sur la question des grandes avenues structurantes maillées, on doit aussi aujourd’hui s’interroger sur la pertinence contemporaine de cette problématique. C’est un enjeu fort pour les banlieues ou les espaces périurbains, comme pour les entrées de ville, où cette problématique d’armature structurante n’a guère été prise en compte au moment de la poussée urbaine de la fin du XXe siècle et du début du suivant : ces grands axes servent aussi de réceptacles au réseau de transports publics lourds (tramway et bus BHNS) qui, par ces moyens, contribuent ainsi à l’irrigation des zones périphériques.
  • Dans un autre ordre d’idées, on peut se poser la question de savoir si les injonctions à la densification de l’État, qui prennent parfois une connotation simpliste et caricaturale – et qui vont parfois à rebours des attentes sociales comme l’indiquait Jean-Paul Lacaze ancien directeur de l’ANAH – ne masquent pas aujourd’hui les véritables carences de la prise en compte de la problématique de l’urbanisation et de la restructuration des espaces périphériques. En quoi Cornudet reste-t-il d’actualité sur cette question ?
  • À l’heure où les intercommunalités montent en puissance pour tenter de résoudre la question de la gouvernance urbaine dans des agglomérations encore marquées par l’atomisation des communes, ne faut-il pas aussi analyser cette ville globale – qu’on appelle «agglomération» ou «aire urbaine» selon la définition géographique ou statistique – à l’aune des principes mis en avant par Cornudet ? Les agences d’urbanisme d’un côté, les communautés intercommunales de l’autre, sont sur ce terrain. Mais prennent-elles toute la mesure des enjeux structurels en termes d’armature et de positionnement des équipements qui se rattachent à cette problématique ?
  • Enfin, et c’est une question qui interpelle plus directement le droit de l’urbanisme: à l’époque de Cornudet, et dans le prolongement de l’époque haussmannienne comme nous l’avons indiqué plus haut, l’approche législative des questions urbaines est fortement inspirée par des considérations concrètes et opérationnelles: formelles avec la notion d’armature urbaine, et programmatiques avec le positionnement et la réalisation d’équipements publics et d’espaces ouverts végétalisés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le droit de l’urbanisme ne tend-t-il pas – sous l’influence des administrations de l’État qui cherchent à reprendre par la norme ce qu’elles ont perdu avec la décentralisation – vers des formes de plus en plus incantatoires, idéologiques, voire abstraites, et dont on peut s’interroger sur leur efficacité à problématiser réellement les enjeux d’aujourd’hui ?

Cornudet versus idéologie du développement durable ?
Sources :

  • Archives municipales de Lyon, Forma urbis
  • Viviane Claude, Les projets d’aménagement, d’extension et d’embellissement des villes (1919-1940)
  • Charles Delfante, Jean Pelletier, Plans de Lyon, portraits d’une ville
  • Georges Duby (dir), Histoire de la France urbaine, Tome 4
  • Gibert Gardes, Lyon, l’art et la ville, Tome 1
  • Encyclopédie Universalis, article L’urbanisme en France au XXe siècle
  • Jean-Luc Pinol (dir) Histoire de l’Europe urbaine, Tome 2