L’espace public est-il vraiment un espace commun qui appartient à tout le monde, comme le veut la pensée populaire ? La délégation Rhône-Alpes a réuni près de 70 participants pour plancher sur ce sujet*, en abordant des thématiques variées et complémentaires, comme la place des sans-abri en ville, le rapport entre espace public et genre, et en prenant également pour exemple la réhabilitation de quartiers aux caractéristiques particulières.
Dans l’espace public, l’équité urbaine se joue sur plusieurs tableaux. La question de l’usage en est un : quel est le juste dosage entre mélange et séparation des usages ? En s’appuyant sur un cliché présentant les nouveaux aménagements réalisés sur le cours Jean Jaurès à Grenoble où circule désormais le tram, Marie-Christine Couic, docteure en sociologie et urbaniste, a démontré comment l’espace public pouvait se trouver morcelé. Entre trottoirs, pistes cyclables, voitures, bancs trop petits pour s’allonger, bande de gazon pour le passage du tram… les nombreux usages placés côte-à-côte, parfois séparés de quelques barrières, créent un espace tronçonné : ici, on ne voit plus un espace public mais une série d’usages proposés. A l’inverse, la présentation de la réhabilitation des berges du Rhône à Lyon par Emmanuel Jalbert, paysagiste et urbaniste, montrait qu’il est possible de mêler ces usages sans morceler l’espace. En accompagnant fortement le changement, la ville a su trouver le bon dosage pour que les habitants s’approprient l’espace public et y ajoutent même de nouveaux usages.
La réappropriation de l’espace public par les habitants demande souvent un fort investissement des pouvoirs locaux en amont, pour réfléchir au projet puis le développer. Ce temps est parfois bousculé par un calendrier politique : Priscilla Tetaz, présidente de la Fédération française du paysage Rhône-Alpes Bourgogne, Auvergne Franche-Comté, a insisté sur ce point car pensé trop rapidement, un projet entier peut s’en trouver contrarié. Les étapes de la concertation politique et urbaine sont primordiales pour parvenir à cerner les questions à résoudre. Catherine Grandin, directrice du CAUE du Rhône, montre que la gestion de l’espace public est un enjeu important dans la négociation des gouvernances territoriales. Les espaces publics urbains, ruraux ou périphériques ne sont pas fondamentalement différents, ils représentent les habitants et les inscrivent dans un vaste réseau. Mais le projet d’un espace public n’est pas fini au moment où les travaux sont achevés : Jacques Vialettes, président de la SFU, tient à souligner que les usages faits d’un lieu ne sont pas forcément ceux qui étaient attendus. Une part de la réflexion vient en aval, afin d’inclure les commentaires des habitants et de parfaire le projet avec eux, car de nouvelles demandes apparaissent. Le travail de Mathieu Percheminier, chef de projet du plan stratégique local de Monclar, un quartier difficile d’Avignon, en est un bon exemple.
Mêlant des habitants d’origine gitane et d’autres du Maghreb, le quartier Monclar est à la fois sensible et dynamique. Peu aménagé, l’espace public n’était plus vraiment entretenu. Les femmes, qui préféraient se retrouver à l’écart avec les enfants, se sont progressivement réinstallées au cœur du quartier grâce aux nouveaux aménagements qui ont consisté à redéfinir des usages : en démolissant et en restructurant les voies, en installant du nouveau mobilier urbain, des bancs, des jeux d’enfants, l’état d’esprit du quartier a changé. De ces changements ont découlé de nouvelles envies -pas toutes réalisables, comme cette demande d’avoir une piscine !- qui dénotent la réappropriation de l’espace. Ainsi, alors que les travaux se sont achevés, les habitants ont pris le relais et prolongent la réflexion en imaginant d’autres pistes pour l’amélioration de cet espace public réaménagé.
A l’écoute de ces exposés, Pascale Pichon, professeure de sociologie et responsable du Master Espace public à Saint-Étienne, posait la question de la charge portée par l’espace public : les politiques ne le chargeraient-ils pas de trop d’intentions ? Ne faudrait-il pas garder également une part de vide pour que chacun y trouve son compte ?
*Les organisateurs tiennent à remercier leur partenaires, l’Institut d’urbanisme de Lyon, l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne, l’Ecole supérieure d’art et de design de Saint-Etienne, le CAUE du Rhône, la Communauté urbaine du Grand Lyon, la Fédération Française du paysage Rhône-Alpes Bourgogne Auvergne Franche Comté, l’Association des étudiants et diplômés de l’Institut d’urbanisme de Lyon Urba & Orbi, les Universités Jean Moulin et Lyon 2.