Les urbanistes d’en bas

La Loi SRU en question 20/02/03
Babacar MBOUP Urbaniste SFU – mboupbb@hotmail.com
Les urbanistes d’en bas sont les professionnels de terrain qui œuvrent quotidiennement afin de transformer durablement la ville en société. Dans l’exercice de leurs pratiques professionnelles, ils sont confrontés aux ségrégations urbaines qui recomposent la France en géométrie variable ceux d’en haut d’un côté et ceux d’en bas de l’autre. Ils assistent impuissants aux exclusions urbaines qui sont générées par une demande de logement qui dépassent cinq parfois six fois l’offre disponible.
Face à cette situation, et dans la perspective d’une modification de l’article 55 de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain qui avait comme ambition de contribuer modestement au renforcement de la solidarité entre les communes en matière d’habitat, les urbanistes se devraient de rompre avec le silence.
En réalité, l’article 55 SRU obligeait les collectivités territoriales de rattraper leur retard lorsque les logements sociaux dans la commune sont inférieurs à 20% des résidences principales, en privilégiant le caractère intercommunal du dispositif et en permettant à l’Etat de se substituer aux communes en cas de carence de celle-ci. A l’évidence, le lever de bouclier est provoqué par l’institution d’un prélèvement de 152 ¤ par logement manquant sur les recettes des communes ayant moins de 20% de logements sociaux.
Nous analysons l’institution de la contrainte de 152 ¤ comme l’aboutissement de la conséquence du refus des collectivités d’appliquer la loi d’orientation pour loi N° 91-662 du 13 juillet 1991 reprise partiellement par le Pacte de relance pour la ville loi N°96-987 du 14 novembre 1996 énonçant que « le programme local de l’habitat définit, pour une durée au moins égale à cinq ans, les objectifs et les principes d’une mixité sociale en s’assurant entre les communes et entre les quartiers d’une même commune une répartition équilibrée et diversifiée de l’offre de logements ».
Qu’est ce qui garantit l’applicabilité de la nouvelle version de l’article 55 de la loi SRU ?
Il ne suffit pas évidemment de savoir que la solidarité, la réduction des inégalités sont inscrites dans la loi pour répondre favorablement au sursaut national indispensable pour recréer du lien social. Tout le monde sait que la mise en œuvre d’une norme juridique en particulier en matière d’urbanisme nécessite un contrôle et un suivi des autorités compétentes. De la dépendance à un régime de liberté, de volonté politique pour réaliser la mixité sans résultat, on est passé à une contrainte juridique avec des avancées timides. Nous pouvons craindre que le retour au système de liberté de faire ne soit garant de résultats satisfaisants.
Dans la mise en œuvre de l’article 55, le ministre du logement veut remplacer la contrainte par la contrat. En droit, la loi est supérieure au contrat, les dispositions d’un contrat ont force de loi lorsqu’elles sont conformes à la loi.
La crise du logement social, (environs trois millions de mal logés * ) que traverse la France est indéniablement liée à l’insuffisance** de l’offre face une demande qui ne cesse d’accroître. Nous savons que le rythme de 80 000 logements par an dans les années 80 n’a pas cessé de décroître jusqu’à atteindre 38000 logements en 2000 en dépit d’une dotation de l’Etat maintenue à 70 000 logements par an.
D’après la Direction Générale de l’Urbanisme de l’Habitation et de la Construction, dans une première évaluation de la loi SRU, en 2001 la production de logements sociaux a été relevée à 56 000 alors qu’il en faudrait 300 000 par an pour espérer résorber le déficit de logements dans les dix prochaines années.
Certes, nous souscrivons à la pensée dynamique du droit, c’est pourquoi nous partageons toutes les initiatives qui tentent d’adapter la loi SRU en particulier dans la recherche de mixité sociale et dans un souci d’augmenter de l’offre de logements sociaux.
Cependant, nous ne pouvons nous empêcher d’interroger le ministre du logement sur l’urgence de la modification de la loi SRU, lorsque la politique de renouvellement urbain de son homologue de la ville estime à 200 000 le nombre de logements à démolir dans dix ans. Faites le compte, les chiffres annoncés n’augurent pas une sortie de crise à court terme.
Nous proposons :

La concertation

Devant l’ampleur de la crise du logement, compte tenu des errances et des incohérences dans la politique du gouvernement en matière de logement social, nous suggérons au ministre du logement de relancer la concertation avant de modifier définitivement la loi SRU dans un esprit de clientélisme électoral. Un projet de cette nature nécessite la prise en compte des avis des professionnels, des élus, des citoyens (associations, habitants) avant toutes décisions susceptibles de rompre les équilibres partiels qui devraient être consolidés. Nous rappelons qu’il a fallu plus de trente et un an d’attente pour modifier et adapter la Loi d’Orientation Foncière de 1967 et deux ans de réflexion, de discussion et de consultation ont été nécessaires pour produire un texte de loi qui n’est pas encore à la hauteur des attentes des professionnels et de la réalité.

La communication

La communication est une des forces que nous reconnaissons à l’équipe de la France d’en bas en place. Ce gouvernement qui s’est distingué dès son entrée en fonction par les tapages médiatiques, les campagnes de publicité, a l’obligation de refaire l’image du logement social tant au niveau architectural qu’au niveau occupation sociale.
Nous rappelons qu’il ne s’agit plus de construire des barres et des tours ou de regrouper les populations en difficulté dans un même quartier. A priori, les derniers mécanismes de financement du logement social sont conçus afin que ce dernier concerne les deux tiers de la population française d’en bas y compris les 82% qui ont permis de restituer les valeurs républicaines le 21 avril 2002.

L’aggravation de l’article 55 de la loi SRU

L’aggravation de l’article 55 est indispensable pour atteindre les objectifs de mixité urbaine, sociale et résidentielle. La réalisation de la mixité passera par la répartition équilibrée quantitativement et qualitativement des logements sociaux entre les quartiers d’une même commune comme le préconisait le Pacte de relance pour la ville.
Le ministre du logement a résisté à son propre camp en maintenant l’objectif de 20% de logements sociaux pour les communes de plus de 1500 habitants en Ile-de-France, et pour les communes en DSU ayant moins de 15% de logements sociaux. Le gouvernement a également maintenu le décompte de 20% au niveau de chaque commune au lieu du niveau de l’agglomération.
Par-là, le gouvernement reconnaît que la loi SRU, notamment l’article 55 correspond à une réelle demande de société.
Conclusion :
Certes, il faut réfléchir ensemble sur la mise en œuvre de l’article 55 de la loi SRU, en tenant compte des réalités locales. Cependant, il est indispensable de reconnaître que la lente reconstruction de la société à laquelle nous assistons est loin de compenser la régression et la désagrégation du tissu social. Enfin, la pénurie de logement social transcende les clivages politiques, son traitement appelle la conscience républicaine. La difficulté et la sensibilité de la problématique du logement social ne toléreront pas un consensus mou qui ne reflétera que la prise en compte des intérêts individuels au détriment de l’intérêt général.
Que pense le ministre du logement de l’assertion de Roger SUE dans son ouvrage « Renouer le lien social » lorsqu’il dit : « comme on le sait, la valeur du contrat est moins dans le contrat lui-même, dans sa lettre, que dans le rapport de force des acteurs qui l’animent et l’interprètent ».
* Selon le rapport de la Fondation ABBE PIERRE
** Le Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées dans son avis rendu le 8 novembre 2002 sur la proposition de loi portant modification de la relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain.