Et si l’on confiait la réflexion autour du PLU à des enfants ? C’est l’initiative prise par cinq communes de la Marne, au sud de l’agglomération de Châlons. Elles ont proposé aux enfants d’imaginer leur village à l’horizon de 10, 20 ou 30 ans.
Tout est parti d’une proposition émise par l’Agence d’urbanisme de Châlons. Dans sa liste d’actions possible pour élaborer un PLU, l’agence indiquait un lapidaire « concertation avec les enfants ». Une accroche qui a attisé la curiosité d’un maire, puis de trois… puis de cinq, finalement. Mais comment mener une concertation avec un public jeune et non averti ? En lui inculquant les grands principes de l’urbanisme. Pour ce faire, Candice Sottas, urbaniste à l’origine du projet, a mené une action en deux étapes. Comme toutes les communes ne disposaient pas d’écoles, il fallait trouver un autre moyen d’inclure les enfants de chaque village. « C’est une chargée de mission spécialisée dans le développement local1 qui m’a permis de rencontrer des partenaires décisifs. Dans un premier temps, nous avons monté un partenariat avec l’association Familles Rurales2 qui connaît parfaitement le territoire » explique l’urbaniste.
Durant les vacances de printemps, Familles Rurales consacre une semaine à des activités liées au thème de l’urbanisme. Les enfants apprennent à lire des cartes topographiques, des vues aériennes et des cadastres avec un urbaniste et deux professionnels de l’aménagement du territoire. Un rallye patrimonial est organisé dans les villages, à partir de photos d’éléments paysagers ou architecturaux, avec une ambassadrice de la Maison de l’architecture de Champagne-Ardenne. Un paysagiste leur apprend également ce qu’est une ligne d’horizon, comment repérer une rivière et à travailler sur les déplacements.
Suite à ces ateliers, les enfants des écoles de Bussy-Lettrée et de Sommesous sont nommés ambassadeurs et présentent à leurs camarades les activités réalisées durant cette semaine de vacances. A cette occasion, des élus se sont également déplacés pour répondre aux questions des élèves.
La seconde étape du projet s’est aussi déroulée en classe, avec la complicité et l’investissement des enseignants : les enfants ont participé à l’élaboration d’un jeu de 7 familles intitulé « Le jeu des cinq villages ». Au lieu de familles, on trouve les principaux thèmes de l’urbanisme : habitation, belles choses, loisirs, déplacements, nature, équipements, travail. La Maison de l’architecture a apporté le concept et la maquette du jeu. Les enfants eux, ont illustré les cartes. Le résultat a enthousiasmé adultes et enfants, au point d’inciter les cinq communes à financer la fabrication de 200 jeux, offerts à chaque enfant concepteur, aux écoles partenaires, aux mairies, à l’association Familles rurales et à la Maison de l’architecture. De quoi propager les principes d’urbanisme à un grand nombre de citoyens… Et déjà, quelques dizaines d’enfants âgés de 3 à 12 ans ont par ce travail, appréhendé les notions de base et les enjeux de l’aménagement urbain.
Grâce à ce travail de sensibilisation, les enfants étaient prêts à partager leurs propositions sur le devenir de leur village. Ayant intégré la nécessité de passer par le compromis pour satisfaire les besoins variés des habitants avec des ressources financières limitées, les enfants ont émis des propositions réalisables.
Sous forme de dessins, ces propositions concernent aussi bien les aires de jeux que la circulation, la propreté ou le sentiment de sécurité. « Certaines communes ont été surprises des remarques des enfants, qui ne se sentaient pas en sécurité sur certains axes, pour faire du vélo notamment » raconte Candice Sottas. Dans ces villages-rue, « bien souvent, les trottoirs sont trop étroits, les enfants nous ont dit ne pas se sentir en sécurité pour se promener. Ils ont peur des camions, de l’indiscipline de certains conducteurs » explique Alain Fleuriet, maire de Soudron. « Nous avons compris que la vitesse des véhicules les impressionnait et qu’il fallait agir sur ce point. » Alain Fleuriet a également trouvé l’exercice intéressant car il traduisait aussi, implicitement, le ressenti des parents.
L’autre grand thème était évidemment celui des aires de jeux : « ils sont en attente de jeux qu’ont les enfants en ville ou dans une bourgade » a noté Alain Fleuriet, « finalement, la notion de qualité de vie est très importante pour eux. » Dans la commune de Sommesous, les enfants ont insisté sur la propreté du village. Pour le Premier adjoint de la commune Jean-Pierre Colpin, « ces ateliers sont allés plus loin qu’une simple initiation à l’urbanisme : c’était de véritables cours d’éducation civique ! »
Ce travail, entamé en avril dernier, s’est achevé au mois de septembre. Les élus semblent conquis par l’action et prêts à recommencer, « mais auprès d’un autre public » déclare Alain Fleuriet : « pour ce coup-ci, nous manquons de temps, mais j’espère pouvoir mener un jour la même concertation avec des adolescents, des collégiens. On s’occupe beaucoup de la petite enfance, des crèches, et on a du mal à faire des propositions au public adolescent. Ce serait une bonne approche. »
Eux aussi, comme les enfants, auraient certainement une vision plus globale que les adultes. Car c’est un élément marquant de l’expérience : à la différence des enfants, les adultes qui se déplacent en réunion d’information ou de concertation sur le PLU arrivent avec des problèmes ou des besoins concrets et précis. A l’inverse, les enfants ont une vision plus diffuse. « Ce travail va nous servir de canevas préliminaire à la discussion avec les adultes » précise Alain Fleuriet.
Si certains ont été surpris d’apprendre que les enfants seraient consultés en amont et que leur propositions serviraient de base de travail pour la suite de la concertation, savoir que leur vision est plus globale que celle d’un adulte donne tout son sens à l’ordre donné à chacun dans cette concertation.
Enfin, les bénéfices de ce travail sont nombreux : les élus ont, à cette occasion, appris à travailler ensemble, mais aussi à travailler en concertation avec les citoyens. Une expérience qui leur a offert une nouvelle approche et donné envie de la reproduire à d’autres occasions. De leur côté, les enfants ont été sensibilisés à leur environnement, aux enjeux qui touchent une municipalité et à la notion de vivre-ensemble. Enfin, l’action a permis de faire réfléchir et travailler ensemble des publics différents, mais aussi des organismes, comme l’association Familles rurales ou la Maison de l’architecture, qui habituellement ne sont pas amenés à se pencher sur l’élaboration du PLU. Des sensibilités différentes, des regards naïfs ou au contraire, expérimentés, ont pu éclairer d’un jour nouveau cette problématique du PLU.
[box_colored icon_color= »e.g. #fff » icon= »e.g. fa-camera-retro » background= »e.g. #80D0D0″ title= »e.g. Témoignage : Candice Sottas, urbaniste « ] »Ce projet est l’une des composantes de ce qui doit être l’urbanisme au XXIe siècle : pragmatique, itératif et libéré de toute idéologie… Et avant tout porteur d’un beau défi : tâcher d’être incarné par les hommes et femmes qui font vivre les territoires, quitte à laisser de côté de belles idées, pour certaines sans doute tout à fait louables.Dans l’exemple, les élus ont, à l’origine, de quoi être décontenancés : déboussolés par un contexte institutionnel mouvant (deux restructurations intercommunales en trois ans), ils sont aussi spectateurs des limites de l’aménagement du territoire (pas de document ni politique d’urbanisme intercommunaux, aéroport local et sa zone d’activités qui peinent à attirer entreprises et clients, démantèlement des casernes militaires et perte du statut de chef-lieu de région de la grande ville proche…). Ils sont, enfin, conscients des limites financières et opérationnelles de leurs communes. Et voilà encore qu’on leur impose (avec la loi ALUR), sans que les enjeux communaux aient bougé d’un iota, de réviser de leurs Plans D’Occupation des Sols !
Pourtant, plutôt que de planifier, en attendant des jours meilleurs, un simple « relooking » à la nouvelle mode de leur POS, les élus ont, au travers de ce programme de concertation destiné aux enfants, provoqué une petite révolution locale, et ouvert une porte qui ne se refermera plus.
L’audace de ce projet, ici, ce n’est donc pas la mission à laquelle il se réfère, un simple PLU : pas de smart grids, pas de label en vue, pas d’écoquartiers… C’est que les élus qui l’ont commandité se sont lancés, « sans filet », dans un travail partenarial sans précédent sur leurs territoires, en franchissant les murs qui les séparaient de leurs plus jeunes administrés. C’est qu’ils sont parvenus à susciter l’intérêt des enfants participants comme de leurs parents pour des questions d’urbanisme souvent perçues comme technocratiques.
À Bussy-Lettrée, Dommartin-Lettrée, Haussimont, Sommesous et Soudron, le grand projet d’urbanisme de demain, c’est celui qui, quelles que soient finalement les orientations qui seront portées, saura entretenir ce nouvel intérêt populaire, et réveiller en chaque habitant ce que les citoyens en herbe ont tous exprimé, en 2016, avec leurs paroles et leurs dessins : la recherche sincère d’une meilleure qualité de vie collective. »[/box_colored]